Page:Régnier - Œuvres complètes, éd. Viollet le Duc, 1853.djvu/82

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Comme nos citoyens de race désireux,
Qui bercent les enfans qui ne sont pas à eux.
Ainsi, tirant profit d’une fausse doctrine,
S’ils en sont accusés, ils feront bonne mine,
Et voudront, le niant, qu’on lise sur leur front,
S’il se fait un bon vers, que c’est eux qui le font[1] .
Jaloux d’un sot honneur, d’une bastarde gloire,
Comme gens entendus s’en veulent faire accroire :
A faux titre insolens, et ,sans fruict hazardeux,
Pissent au benestier[2], afin qu’on parle d’eux.
Or avecq’ tout cecy, le point qui me console,
C’est que la pauvreté comme moi les affole[3] ;
Et que, la grace à Dieu[4], Phœbus et son troupeau,
Nous n’eusmes sur le dos jamais un bon manteau.
Aussi lors que l’on voit un homme par la ruë,
Dont le rabat est sale et la chausse rompuë,

  1. Vers monosyllabique.
  2. Autre expression proverbiale non moins énergique que la précédente. Les Grecs avoient un proverbe semblable, Ἐν Πυθιον χέσαι qu’on peut rendre ainsi en latin : In Pythii templo cacare. Erasm. Adag., chil. 4, cent. 2, 65. Benestier : Anciennement on disoit benoitier et benêtier ; aujourd’hui on ne dit que bénitier.
  3. Les affole.] Les foule, les blesse, les incommode. Affoler, en ce sens, n’est plus en usage :
    Encor est-ce un confort à l’homme malheureux,
    D’avoir un compagnon au malheur qui l’affole.
    C’est la fin d’un des sonnets de Philippe Desportes, Amours de Diane, sonnet 14.
  4. On dit maintenant grâces à Dieu ; mais la grâce à Dieu étoit la façon de parler usitée du temps de Régnier, et même plus anciennement, car dans les Nouvelles Récréations de Bonaventure Des Periers, imprimées en 1558, et dont le privilège est de 1557, on lit : « Le bon homme lui respond qu’il n’en avoit point été malade, et qu’il avoit tousjours bien ouy, la grâce à Dieu. » Nouv. x, p. 42.