Page:Régnier - Escales en Méditerranée.djvu/175

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canique et forcené. À ce spectacle oppressant combien je préfère la giration vertigineuse des Derviches tourneurs de Péra, l’envolement circulaire de leurs longues jupes plissées qui, l’exercice terminé, retombent et laissent l’homme debout sous son bonnet conique, comme le signe de ponctuation d’une langue mystérieuse !

Ils en parlent une aussi les hauts et rigides cyprès du grand cimetière de Scutari, la langue mystérieuse de la mort dont nul jamais ne déchiffra l’énigme. Leur peuple funéraire occupe les pentes d’une haute colline et en fait un vaste bois, coupé de larges avenues qui le divisent en quartiers. Dans chacun de ces quartiers se pressent des milliers de tombes aux stèles inclinées, aux pierres penchées, en un désordre sur lequel semble avoir passé un souffle venu de l’au-delà. Çà et là, quelques monuments orgueilleux appuient sur des colonnes qui s’effritent leurs dômes lézardés, mais malgré leur présence règne en ce champ des morts une sorte de monotonie égalitaire. Partout un turban, une fleur sculptée, une inscription, rien des fantaisies architecturales et des imaginations fastueuses ou déplorables qu’offrent les sépultures dans nos cimetières d’occident. Rien que le silence, la solitude, l’herbe qui pousse, un bourdonnement d’in-