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l’abbaye d’évolayne

— Ah ! pourtant, ma mère, n’aurais-je pas mieux fait de le garder. Il pouvait vivre plus aisément loin des autels que moi loin de lui. J’ai voulu qu’il fût heureux et son bonheur ne me suffit pas. J’avais besoin de sa présence seulement. Oh ! cette année même où j’ai vécu à ses côtés, n’étant plus rien pour lui, cette année déserte où j’ai tant souffert m’apparaît comme un paradis. Vous m’avez dit : « séparée de votre mari, vous le sentirez plus près de vous. » Mais qu’est-ce que cette union mystique, si pure, si froide ?… Me voici religieuse et lui prêtre, et Dieu nous voit, nous bénit, nous aime, nous réunira, pourtant cela ne me comble pas, ce n’est pas assez ou c’est trop. J’ai froid et je voudrais seulement qu’il fût à mes côtés, sa main dans la mienne, son cœur près du mien…

L’abbesse la laissa pleurer et délirer longtemps sans l’interrompre. Elle était maintenant convaincue qu’Adélaïde, en se jetant au cloître, n’avait obéi qu’à l’héroïsme de la passion. Cette certitude l’attristait sans ébranler sa confiance, car elle savait combien les desseins de Dieu sont mystérieux et ses moyens d’action inattendus. Une espérance restait permise. L’amour nuisible pouvait devenir bienfaisant, si l’on parvenait à en dégager uniquement les éléments spirituels. Ce fut le but de la mère Hermengarde. Mais l’impulsion qu’elle cherchait à donner fut aussi adroite que légère. Elle se garda de contraindre ou de catéchiser. Abdiquant son autorité, elle se revêtit de jeunesse pour n’être plus qu’une femme sensible et sage, assistant dans les troubles du cœur une autre femme, son amie. Presque chaque jour, elle convoquait Adélaïde dans son oratoire particulier et c’était