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Page:Régnier - L'abbaye d'Évolayne, 1951.djvu/157

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l’abbaye d’évolayne

travers les vastes corridors dallés, sans hâte, ni appréhension, dans une sorte de stupeur indifférente. Mais lorsqu’elle entra dans le vaste parloir où, de très haut, tombait une lumière grise, un subit sursaut de douleur l’ébranla. Elle marcha d’un élan jusqu’à la grille qui séparait la pièce en deux, s’y appuya de tout son poids, comme si elle croyait pouvoir faire sauter cette clôture. Michel était déjà là, derrière les barreaux. Leurs regards se croisèrent durant une seconde et le cri qu’elle allait jeter vers lui s’arrêta sur ses lèvres, car elle comprit qu’il ne voyait plus en elle une femme, mais seulement la religieuse, l’élue de Dieu. Il l’appela : « ma sœur chérie ! … »

— Et je pourrais encore vous donner d’autres noms, dit-il. N’êtes-vous pas aussi un peu ma mère, vous qui m’avez donné à Dieu, c’est-à-dire à la Vie, ma fille encore, puisque l’homme, dès qu’il possède la plénitude du sacerdoce, porte la responsabilité de toutes les âmes en général, mais de quelques-unes en particulier. La vôtre, la première qui me fut confiée, me demeurera toujours plus chère qu’aucune autre.

Il parlait avec une onction appliquée, égale, bien différente de son ancienne froideur, coupée d’éclats. Les années de cloître avaient fait de lui un homme nouveau qui semblait se livrer plus et pourtant se gardait mieux, un homme qui exprimait aisément des sentiments doux, sans chaleur.

Ils s’étaient assis tous deux de chaque côté de la grille. Michel, immobile, les mains jointes, les yeux baissés ne songeait pas à regarder cette femme qui n’était plus la sienne. Il ne lui accordait, même en cet instant, qu’une attention pru-