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Page:Régnier - L'abbaye d'Évolayne, 1951.djvu/158

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l’abbaye d’évolayne

dente, uniquement spirituelle. Aveugle volontaire, il voulait qu’elle ne fût pour lui qu’une voix. Mais elle n’imitait pas cette réserve. N’ayant plus rien à ménager, elle cédait à l’amour. Elle s’empoisonnait avec ce visage et ses yeux ne le quittaient pas. C’était une figure nouvelle, détendue, sereine. La joie qui embrasait toute l’âme y projetait un extraordinaire rayonnement, semblait fuser à travers les paupières closes et les lèvres tranquilles qui ne souriaient pas. Adélaïde contemplait la paix face à face dans un éblouissement triste et timide. Mieux que personne, dans son dur désespoir, elle savait le prix de la joie. C’était une chose merveilleuse et douce, aussi sacrée que l’innocence et la faiblesse d’un enfant. Elle ne pouvait pas l’arracher à cet homme qu’elle aimait. Il est facile de blesser ceux qui souffrent, mais non point ceux qu’une félicité anormale en ce monde enveloppe de sa splendeur fragile. Adélaïde voulait maintenant porter seule, sans que Michel le sût, toute la croix :

— Dites-moi que vous êtes heureux, implora-t-elle.

— Je vous apporte mon bonheur et je vous en rends grâce puisqu’il est votre œuvre. Quel destin que le mien, quel sort admirable !

Elle balbutia :

Vous êtes prêtre à jamais

Sur le visage du moine la paix s’accrut encore :

— Tout a passé sur moi : les avertissements et l’appel de l’Église, l’imposition des mains, le sublime répons : « Maintenant je ne vous appellerai plus mes serviteurs, mais mes amis… » Et j’évoquais ce jour lointain où nous assistions en spectateurs