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Page:Régnier - L'abbaye d'Évolayne, 1951.djvu/181

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l’abbaye d’évolayne

ne s’évaderait d’elle-même. Prisonnière de son propre néant, elle sentait comme une flamme froide qui dévorait sa chair, détruisait sa forme. Elle n’était plus qu’une créature obscure, aveugle, muette où subsistait la conscience d’une vie condamnée.

Plus tard, elle réagit pourtant contre son désespoir et son premier soin fut de quitter Nice dont l’atmosphère factice doublait son malaise. À Lyon, où elle acheva l’hiver, elle voulut travailler encore, creuser les questions philosophiques et religieuses qui seules l’intéressaient. Mais, privée de toute direction, elle oscillait, sans méthode, d’un système à l’autre et son faible esprit tout enténébré de tristesse ne voyait rien qui lui parût clair. Ce repliement sur elle-même ne la menait à rien. Elle s’aperçut que l’effort constant de la pensée rend fou, que toute vie méditative a besoin de se détendre dans un peu d’action extérieure. La parole de saint Paul : « Si je n’ai pas la charité, je ne suis qu’un airain sonnant, une cymbale retentissante, » lui indiqua une voie nouvelle. Par la charité, par le don de moi, se dit-elle, j’irai peut-être à Dieu, plus sûrement que par l’étude et la prière.

Mais faire le bien n’est pas chose facile. Il ne suffit pas de chercher la misère pour la découvrir, ni de la plaindre pour la soulager. Adélaïde eut beaucoup de peine à se faire indiquer quelques familles malheureuses. Elle ne sut que prodiguer çà et là, souvent mal à propos, de grosses sommes d’argent, toujours insuffisantes pour combler le gouffre sans fond de la misère. Elle s’aperçut qu’il faut, pour pratiquer la charité avec fruit, un don spécial. D’autres cœurs, moins tendre que le sien,