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l’abbaye d’évolayne

tourée d’ombres et de douleurs secrètes. L’attrait de son visage devint moins grand pour ce rêveur que celui d’une vie mystérieuse qu’il eût tout donné pour connaître. Et l’amour qu’elle lui inspirait se changea en curiosité pathétique, dont elle sentait toujours autour d’elle le frémissement passionné.

Un soir, après le dîner, comme ils faisaient selon leur habitude quelques pas sur la route, Bernard, à dessein, parla de la solitude. Il disait l’aimer, mais non point d’une façon constante. Il la recherchait parfois pour s’y retremper l’âme, comme, en été, la nature. À la longue, elle lui semblait pesante et cruelle. S’il perdait sa mère, il devrait se marier. Il ne pourrait supporter d’être toujours en face de lui-même, de rentrer dans un foyer vide où nul ne l’attendrait. Elle dit tristement :

— On s’y habitue, comme à l’absence, à l’exil, à la prison, à tout ici-bas. C’est affreux, cette résistance sans limites de l’homme au plus dur destin. Il n’y a pas de tourment assez fort pour tuer. Notre cœur souffre, saigne, mais il supporte sans se briser.

Bernard interrompant ces généralités revint à son point de départ :

— Vous vivez absolument seule ?

— Oui, depuis…

Elle allait dire : Depuis ma sortie du couvent, mais elle se reprit et acheva :

— Depuis mon veuvage.

Première découverte ! pour lui fort importante. Elle était veuve, libre par conséquent. Il voulut savoir depuis combien de temps. Elle répondit :