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Page:Régnier - L'abbaye d'Évolayne, 1951.djvu/194

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l’abbaye d’évolayne

« Un an, » Il s’excusa d’avoir ranimé par ses questions une douleur encore si récente, mais, en même temps, il regardait avec étonnement sa robe qui était de toile écrue à grandes fleurs orange. Elle ne voulut pas qu’il pût la croire fausse, prompte à inventer des malheurs imaginaires pour se rendre intéressante.

— Je m’exprime mal, reprit-elle. Veuve, je le suis en effet, mais d’un vivant et il est moins cruel peut-être de perdre un être par la mort que par l’abandon.

— L’abandon ! Il répéta le mot avec une stupeur qui parut très douce à Adélaïde.

— Ah ! Michel, songeait-elle, voyez comme il semble surpris de ce que vous avez fait. Je ne suis pas une femme qu’on délaisse.

Pour Bernard, en effet, elle était l’unique merveille, la créature désirable entre toutes dont il ne se fût jamais lassé. Et il s’indignait contre l’homme qui, ayant une telle femme, avait pu la quitter. C’était certainement un être inférieur, absolument indigne d’elle. Pourtant elle semblait l’aimer :

— Pourquoi, disait-elle, ce désaccord entre les cœurs ? Dans un couple, il n’y a jamais qu’un seul des deux qui aime et c’est toujours la femme.

Il allait protester avec chaleur, mais il s’aperçut qu’elle pleurait. Alors il lui prit la main, doucement, fraternellement. Il l’appela très bas « mon amie ! » Et quelque chose entre eux commença : un échange, une intimité faite de confiance, de pitié, de désir. Ils étaient environnés par une sorte de rumeur musicale à travers laquelle ils s’entendaient magiquement, comme en rêve.

Les jours qui suivirent furent émouvants pour