Aller au contenu

Page:Régnier - L'abbaye d'Évolayne, 1951.djvu/195

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
183
l’abbaye d’évolayne

Adélaïde, où elle goûta la douceur un peu trouble de pouvoir librement se plaindre devant un être qui l’aimait. Sa tristesse n’était plus une eau stagnante en elle, mais un torrent intarissable qui trouvait enfin une issue, débordait sur un autre cœur. Bernard se montrait un confident héroïque. Il se laissait patiemment blesser par elle, l’écoutait parler de Michel sans manifester sa jalousie Mais quelque effort que la passion fasse pour s’élever jusqu’à l’abnégation, elle reste égoïste et intéressée. L’homme qui voit souffrir la femme qu’il convoite peut feindre de s’oublier pour elle. Il ne songe, en s’apitoyant, qu’au moment où il lui sera permis de consoler. Adélaïde, inconsciemment cruelle, jouant avec l’amour qu’elle acceptait sans vouloir le combler, crut pouvoir indéfiniment en arrêter l’aveu. Elle bravait avec sécurité le péril des longs tête-à-tête, des heures tentatrices. Les promenades qu’elle faisait avec Bernard au coucher du soleil se prolongèrent jusqu’à la nuit. Un soir, comme il la quittait au seuil de sa chambre, il referma ses bras sur elle.

Tout de suite, elle se dégagea, sans avoir besoin pour cela d’aucun effort de volonté ni de courage, si bien qu’elle s’applaudit de sa froideur. Elle ne ressentit qu’après quelques instants l’impression physique du baiser qui avait effleuré ses lèvres. La commotion tardive, se propageant en profondeur, l’ébranla tout entière et elle ne fut bientôt plus qu’une femme folle et misérable qui passionnément appelait, non pas Bernard ni un être distinct, mais l’amour quel qu’il fût. Oh ! accepter n’importe quelle tendresse, s’abattre sur n’importe quel cœur ! Debout à son balcon, seule, face à face