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Page:Régnier - L'abbaye d'Évolayne, 1951.djvu/196

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l’abbaye d’évolayne

avec la nuit divine, elle consentait à une première chute et prévoyait déjà toutes les autres. Le souvenir de Michel qui ne la quittait pas n’était plus à ce moment une sauvegarde. Un certain instinct de vengeance lui faisait souhaiter de se perdre et qu’il le sût, afin qu’atteint, si ce n’est dans son cœur du moins dans sa conscience, il comprît qu’il l’avait, en l’abandonnant, assassinée. Son âme était trop haute cependant pour céder à ce besoin d’avilissement qui tente tôt ou tard ceux qui sont déchus de leurs rêves. Quand le sommeil eut dissipé l’ivresse confuse de son esprit et de ses sens, quand elle s’examina sous les yeux purs du jour, elle comprit la nécessité de fuir au plus vite les dangers qu’elle avait bravés avec complaisance. L’aventure un instant désirée révélait son insuffisance. Le désenchantement précédait l’expérience. Peut-être était-elle déjà lasse des faibles joies goûtées. L’habitude du malheur lui rendait tous les renoncements faciles. D’ailleurs elle avait pitié de Bernard qui l’aimait sincèrement, alors qu’il ne représentait pour elle qu’une illusion. Mieux valait interrompre au plus tôt ce jeu où il risquait de se briser le cœur.

Elle accepta le jour suivant la proposition qu’il avait faite d’aller lui chercher des livres à Genève. Dès qu’il fut parti, elle fit sa malle, demanda un taxi, régla sa note d’hôtel. Elle ne laissa pour Bernard qu’un mot d’adieu, vague et courtois, nulle adresse.

Elle se remit à voyager, visita Chambéry, Annecy, excursionna autour du lac du Bourget. Elle regrettait Bernard en tant qu’ami et sa solitude, un moment interrompue, lui semblait plus