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Page:Régnier - L'abbaye d'Évolayne, 1951.djvu/197

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l’abbaye d’évolayne

difficile à supporter. Septembre commençait. L’automne était proche. Elle n’avait encore nul projet pour l’hiver, ne pouvait se résoudre à rien, sachant bien qu’aucun genre d’activité sociale et charitable ne convenait à sa nature. Mais après tout pourquoi cherchait-elle ainsi toujours un but, une grande tâche, alors que tant d’existences avortent, que tant d’êtres parviennent à vivre machinalement, sans idéal, sans foi précise, sans devoirs. Vers le milieu de l’âge la plupart des femmes se trouvent dépouillées de tout : mères dont les enfants sont mariés, épouses ou amantes dont la beauté décline et qui ne sont plus aptes à plaire, jeunes filles qui n’ont pas rencontré l’amour et dont la longue attente est finie. Toutes se résignent plus ou moins. Quelques occupations médiocres : soins du ménage, relations de famille et d’amitié, les aident à passer le temps, à ne pas s’apercevoir qu’elles n’ont rien ici-bas. Adélaïde pouvait rentrer à Paris. Elle aimait assez les livres, la musique pour se créer quelques occupations intéressantes. Elle souffrirait encore, puis peu à peu les crises s’espaceraient, elle atteindrait la vieillesse et la mort. Ce programme, sage après tout, cette abdication qu’acceptent tous les blessés de la terre la révoltaient comme une trahison. « J’étais faite pour autre chose, se disait-elle, pour un seul amour, pour un seul être ! Mais Michel l’avait abandonnée et chaque jour elle le perdait un peu plus. Elle ne se rappelait plus le timbre exact de sa voix, les traits de son visage, seulement son nom et le parfum affolant de sa vie.

Une nuit où, après avoir trop longtemps évoqué les heures les plus douces de son passé,