Aller au contenu

Page:Régnier - L'abbaye d'Évolayne, 1951.djvu/198

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
186
l’abbaye d’évolayne

elle éprouvait jusqu’à la torture le regret du bonheur perdu, la tentation lui vint de mettre fin à ce supplice. Un silence profond se fit alors en elle. La douleur pesant de tout son poids imposait sa monstrueuse exigence. La chair et le cœur surchargés cédaient, tendaient vers l’éternel sommeil. L’âme stupéfaite se taisait. Elle eut un sursaut d’effroi au moment où la main d’Adélaïde toucha le flacon d’atropine, soigneusement gardé. Doucement, elle protestait, opposant au désir terrible la patience des faibles, avec des arguments timides : « Plus tard, il sera toujours temps… » Ainsi elle gagnait une seconde après l’autre, suspendait le geste mortel, jusqu’au moment où dans tout l’être, détendu par la peur bienfaisante, revint le goût de la vie.

Alors, tremblante encore du danger couru, Adélaïde dans un déluge de pleurs, ne pouvant plus prier, cria vers Michel comme vers son sauveur. Et c’était cela en effet qu’il était pour elle. Elle constatait enfin, après une longue épreuve, qu’elle ne croyait qu’en lui. Soustraite à son influence, elle n’était qu’une bête anxieuse et malade. Sans vouloir renouer des liens à jamais rompus, elle avait acquis par un long sacrifice le droit de retourner vers lui, de réclamer son aide, de lui exposer son mal. Lui seul pouvait en découvrir la cause, en discerner la gravité, lui indiquer le remède. La pensée qu’elle allait peut-être détruire sa paix ne l’effrayait pas. Il lui apparaissait avec évidence que leurs sorts ne pouvaient être séparés. Elle avait souffert pour le donner à Dieu, il pouvait maintenant souffrir pour la sauver. Elle ne prévit pas les dangers d’un tel retour et les limites qu’imposerait