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Page:Régnier - L'abbaye d'Évolayne, 1951.djvu/223

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l’abbaye d’évolayne

profonde succéda celle, plus lucide, de la contemplation.

Elle s’était assise sur un petit mur bas, en face d’une prairie humide qu’une mince ligne d’arbres séparait d’autres prairies. Tournant le dos à l’abbaye, elle ne regardait pas le ciel déjà sombre, mais seulement, à ses côtés, ce compagnon invisible, dont le regard si calme, à la fois dominateur et tendre lui infusait une nouvelle vie.

Penchée sur un passé très proche encore, elle lui redemandait toutes les joies qu’elle avait, dans son trouble, laissé perdre. Comme le voyageur qui, sa journée finie, cherche à reconstituer les fuyants paysages entrevus trop rapidement, elle s’efforçait de se rappeler une à une les paroles qui, dispersées aussitôt qu’entendues dans le courant précipité de la conversation, ne reprenaient que maintenant leur importance et leur signification exactes. Les premières tout d’abord :

Je suis heureux, Adé, nous voici réunis.

Puis le reproche qui avait aussitôt suivi ; le reproche audacieux, si touchant, si injuste :

« Vous êtes bien coupable envers moi. La mort ne nous aurait pas mieux séparés que votre volonté féroce.

Et comme certains mots soulignés sur la page où s’alignent des caractères égaux, quelques phrases, arrachées par l’émotion ou la tendresse au cœur fermé du moine, se détachaient dans sa mémoire avec un relief saisissant.

« J’avais toujours en moi cette question, restée si longtemps sans réponse ! où est ma pauvre