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Page:Régnier - L'abbaye d'Évolayne, 1951.djvu/227

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l’abbaye d’évolayne

lucide, reformait dans ces ténèbres le cadre du parloir. Michel était là et leur entretien se continuait. Elle lui exposait ses désirs, insistait pour qu’il la gardât près d’elle. Parfois, pour donner plus de force à l’illusion qui la comblait, elle parlait à mi-voix. Elle s’écoutait avec délices répéter des mots très simples : « Michel, je vous en prie. Comprenez-moi, Michel. » Tous les grands solitaires, tous ceux qui souffrent, attendent, espèrent, sans confidents, sans amis aiment à s’expliquer devant des ombres dont leur imagination peuple le vide. Mais ils ne sont pas toujours maîtres de leurs fictions. Brusquement, sans qu’elle l’eût voulu la figure patiente assise en face d’elle bougea, fit un signe, l’obligeant au silence, obéissant comme tout à l’heure à l’appel d’une cloche et disant : « Plus tard, demain… » Elle se rappela que Michel n’était pas libre et ce seul fait abolissait bien des espoirs. Il ne pouvait prendre aucune décision, même pour la sauver. Il appartenait tout entier à l’Église, sa nouvelle épouse, plus ombrageuse et plus jalouse mille fois qu’un être humain. Elle revit le mouvement qu’il n’avait pu réprimer en l’entendant exprimer le désir de vivre auprès de lui et le regard de pitié par lequel il avait plaint ses illusions sans oser les détruire. Ses supérieurs en effet ne lui permettraient pas de garder près de lui sa femme. Ils ne laisseraient pas le bel exemple de cette union rompue pour Dieu devenir pour les fidèles un sujet de scandale. Un amour d’âme succédant à l’amour charnel présentait encore trop de risques. Le père Athanase serait là pour mettre en garde son ami contre les entraînements du cœur. Le père Abbé