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Page:Régnier - L'abbaye d'Évolayne, 1951.djvu/230

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l’abbaye d’évolayne

rien ne saurait abolir. Il m’a aimée, il peut m’aimer encore.

Un brusque sanglot la suffoqua. À quoi bon cette vaine bravade par laquelle elle essayait de se tromper ? En réalité, elle savait bien qu’elle n’avait plus nul pouvoir sur Michel. On eût en vain ouvert toutes les portes de l’abbaye devant ce captif volontaire, sans qu’il songeât à user de sa liberté pour la rejoindre. D’ailleurs la réunion même ne les rendrait pas l’un à l’autre. L’amant qu’enivrait autrefois le parfum de sa vie avait fait place à l’apôtre pour qui elle n’était rien qu’une âme entre les autres. Elle évoquait le regard que, tout à l’heure, il attachait sur elle et qui ne voyait ni sa beauté ni son émoi, sondait seulement sa conscience. Il ne s’intéressait qu’à son salut. Et, sans doute, il avait longuement prié pour elle, remettant à Dieu le soin de la consoler. Maintenant, il reposait dans cette cellule qu’elle ne connaîtrait jamais, et dont il défendait l’accès, même à son souvenir. Il dormait tandis qu’elle l’appelait en vain. Sa présence proche ne le troublait pas plus qu’hier son absence. Elle ne pouvait plus lui arracher le bonheur qu’elle lui avait donné.

Elle se remit à errer dans sa chambre étroite, de sa croisée ouverte à sa porte. La marche légère de ses pieds nus s’entendait à peine et, quand elle passait devant son miroir, sa forme blanche, si vague dans la clarté lunaire, l’effrayait comme si sa propre âme lui était apparue tout à coup désincarnée, telle qu’elle serait peut-être dans l’éternité, sans repos, fugitive, condamnée à poursuivre sans fin la chimère de son amour