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Page:Régnier - L'abbaye d'Évolayne, 1951.djvu/231

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l’abbaye d’évolayne

inassouvi. Alors, pour se convaincre qu’elle vivait encore, Adélaïde touchait ses bras, sa poitrine, son visage baigné de pleurs tièdes ou bien elle jetait une plainte basse que couvrait le murmure du ruisseau. Elle reprenait ainsi conscience de sa propre existence. Mais que ce monde où elle évoluait était étrange, et anormale la durée des heures ! Qu’était-ce que ce paysage dévoré par la lune où rien ne bougeait, où rien ne changeait depuis si longtemps ? Qu’était-ce que cette nuit interminable ? Quel sortilège pesait sur l’univers, empêchait le jour de renaître ? Jusques à quand, soumise aux obsessions de l’ombre entendrait-elle résonner dans son cœur ces mots, toujours les mêmes : si quelque chose avait pu troubler ma paix… et leur conclusion évidente : « Je puis être heureux sans vous, ma félicité ne dépend pas de la vôtre. »

Pourtant la certitude même de n’être pas aimée ne la réduisait pas à merci. Elle luttait sauvagement, non plus contre l’Église, le père Abbé ou le père Athanase, mais contre Michel, car elle se rendait compte qu’il était son premier adversaire, que lui seul pouvait défendre sa cause devant ceux dont il dépendait. Tout serait peut-être gagné si elle parvenait à l’émouvoir vraiment en sa faveur. Mais elle ne savait comment s’y prendre, elle ne connaissait plus cet être changé, dont le cœur ni la chair ne parlaient plus pour elle. Et la même phrase qui l’avait tant déchirée, de nouveau la rassura : « Mon double titre de prêtre et d’époux me confère envers vous un double devoir. » Dans sa misère elle accepta, à défaut d’amour, la charité du moine, elle l’imagina devant elle et, tombant à genoux au pied du lit, s’adressant au vide où elle croyait le voir, elle suppliait :