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Page:Régnier - L'abbaye d'Évolayne, 1951.djvu/232

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l’abbaye d’évolayne

— Apôtre, tu as donné ta vie pour les âmes, aie pitié de la mienne. D’autres ont besoin d’une consolation, n’importe laquelle, moi j’ai besoin de ta parole seule et de ton seul secours. Je ne puis être consolée que par toi. C’est une bien froide charité que celle qui consiste à partager son cœur en dix mille parcelles, pour que chacun en ait une petite miette. Il n’y a pas trop d’un cœur pour nourrir un cœur, d’une vie pour sauver une vie et pourtant je ne réclame qu’une part infime de la tienne, non par folle exigence, mais parce que rien d’autre ne peut me suffire. Ton Dieu est-il si dur pour ne point permettre aux faibles d’être portés par ceux qui sont forts ? Est-ce ma faute si je suis aveugle, sourde, infirme, si je ne puis voir la lumière qu’avec tes yeux, si je n’entends bien que ta voix, si je tombe lorsque tu ne me soutiens plus ? Oh ! ta pitié peut me sauver, mais à la condition d’être égale à mon malheur. Ne sois point si tranquille, si plein de certitude, ne sois point si heureux. Ne dis point : « Rien n’est grave, cette crise va passer. » Ne juge pas si vite. Prends d’abord en toi ma peine, charge-toi un instant de ma croix.

Ah ! si par miracle quelque ange, écartant les voiles de la nuit et du sommeil, eût permis que Michel l’aperçût telle qu’elle était sans lui, elle ne doutait pas que le moine, devant sa misère enfin révélée, n’eût accepté et pour toujours la charge de sa vie. Un malentendu seul les séparait. Il ne l’avait observée tout à l’heure qu’à travers le prisme déformant de son propre bonheur, alors qu’elle-même, perdue dans l’émotion du retour, ne souffrait presque plus. Il fallait qu’elle s’expliquât mieux : « Je ne peux pas vivre sans vous ! »