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Page:Régnier - L'abbaye d'Évolayne, 1951.djvu/270

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l’abbaye d’évolayne

paix, puisque je ne pourrais me fondre en toi et devenir toi-même puisque, éternellement, il me faudrait subir cette division, cette séparation, cet éloignement dont je meurs, ce supplice d’être moi-même et non point toi.

Il savait bien qu’elle ne délirait pas. Simplement, l’exaltation due au poison, refoulant toutes les contraintes qu’impose la raison, libérait en elle les forces sauvages de la vérité. Des profondeurs les plus secrètes de sa vie montait l’aveu d’un désir monstrueux, sans aucun rapport avec rien de réel, mille fois plus coupable qu’aucun désir charnel et, devant ce pauvre être à jamais abusé, qui, même au seuil de la mort, tendait vers lui, criait vers lui, le confondait avec sa fin suprême, le moine, objet de cette méprise idolâtre, s’était mis à trembler. Il avait l’impression d’une chute vertigineuse où elle l’entraînait. Il résistait et priait, mais avec le sentiment très net que tous les trésors de la grâce s’évanouissaient dans le gouffre sans fond d’une telle misère.

Ce fut à ce moment qu’une auto s’arrêta devant l’hôtel et que Michel, écartant le rideau, vit descendre l’un des médecins qu’il avait appelés. Ce secours humain qui lui arrivait enfin lui fut un réconfort. L’affreux drame spirituel où il se débattait s’interrompait. De nouveau il sentait autour de lui les rassurantes limites de la vie. Des devoirs pressants, nécessaires s’imposaient : soigner Adélaïde, l’arracher à la mort. Et alors tout serait gagné. Avec le temps il saurait la guérir de son amour pour lui. Il voulut aller au-devant du docteur, mais à peine avait-il fait quelques pas