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l’abbaye d’évolayne

la place baignée de lumière. Le soleil, devenu son ennemi, la criblait de flèches brûlantes. Ses pensées tourbillonnaient, s’entre-heurtaient vagues et folles. Elle désirait à la fois fuir son mari et le chercher pour l’accabler de reproches. Dans une agitation fiévreuse, elle prenait mille résolutions contraires.

Le plus sage eût été de rentrer à l’hôtel, de cacher sa découverte. Il fallait laisser à Michel le mérite d’un aveu fait librement ou, s’il persistait à se taire, la honte de son hypocrisie. Mais Adélaïde ne savait pratiquer ni la patience, ni la feinte. Elle se sentait incapable de paraître tout ignorer quand la colère à grands coups lui ébranlait l’âme et que tant de paroles amères lui montaient aux lèvres. Plus haut que la raison, la passion parla qu’elle écoutait toujours. Elle attendit Michel.

Sans doute prolongeait-il son action de grâces, car de nombreux fidèles avaient déjà quitté l’abbaye. Il sortit à son tour, l’un des derniers, s’arrêta un instant près du portail, clignant des yeux sous la clarté plus vive. Il souriait, non point à une créature vivante, mais à son rêve intérieur, à ce ciel pâle et vide où il discernait une adorable présence. Adélaïde fut jalouse de ce sourire qui ne s’adressait pas à elle. Il ne la voyait point, ou du moins elle n’était encore pour lui qu’une silhouette anonyme. Il descendit les marches de son pas nonchalant. Alors, se trouvant tout près d’elle, il la reconnut. Le médecin, l’homme habitué à se pencher sur des malades, à découvrir parfois dans la chair saine en apparence la mort embusquée, visible pour lui seul, savait dissimuler ses impressions. En rencontrant sa femme à cette place,