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l’abbaye d’évolayne

Sa voix tout d’abord haute, un peu stridente fléchit sur les derniers mots, sombra en des notes tremblantes. Le moine la laissa pleurer durant quelques instants, afin que sa colère sans raison s’épuisât d’elle-même. Son égarement lui inspirait une pitié profonde. Il aimait la joie, il la voyait partout répandue dans l’univers, accessible à tous et s’étonnait que tant d’êtres, volontairement, la refusassent alors qu’elle leur était offerte. Quand Adélaïde parut plus calme, il lui désigna d’un geste large les arbres, le ciel, les prairies, toutes les choses riantes qui les environnaient :

— Regardez, dit-il avec un enjouement mêlé de compassion, regardez autour de vous : voilà l’image de votre vie : ce bois tranquille abrité de la chaleur, avec une belle vue lumineuse. Vous n’avez qu’à remercier Dieu et à savourer ses bienfaits. Pourquoi vous tourmenter ainsi, inventant des périls imaginaires ? Pourquoi surtout vous défendre si âprement quand nul ne vous menace ? Vous dénaturez le sens de mes paroles. J’ai dit que Michel, libre, serait sans doute entré au cloître, c’est une simple supposition sans importance qui ne signifie pas que je veuille l’y jeter, bien au contraire. Sa place est dans le monde, il y a des devoirs qu’il saura remplir, quand il aura compris, ainsi que vous, comment l’amour humain s’accorde avec l’amour divin. Je vous y aiderai tous deux. Vous vous méprenez si vous croyez avoir à craindre quelque chose de moi. Le lien conjugal à mes yeux, comme aux yeux de tous les prêtres, est un lien sacré. Il ne saurait être rompu que dans un seul cas.

— Lequel ? interrogea-t-elle, un peu honteuse