Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/273

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lâchant une bouffée de fumée, Antoine m’a dit :

— Ma foi, tu avais raison, c’est un gentil garçon que notre second, Bertin. Je suis allé causer avec lui, cet après-midi. Mais quel drôle de type ! J’ai voulu lui faire raconter ses plaisirs napolitains. Ça doit aimer les femmes, ces marins ! Mais, bast ! celui-là ne me semble pas un coureur. Cependant il va presque tous les soirs à terre. Alors, je pensais qu’il prenait bien quelques petites distractions. Pas du tout. Ce brave Bertin se borne à se promener sentimentalement sur la Chiaia. Et comme je le taquinais sur sa continence, voici mon gaillard qui rougit jusqu’aux oreilles et qui finit par m’avouer qu’il est amoureux d’une petite cousine avec qui il est fiancé et que, depuis lors, il n’a pas regardé une femme. Comprends-tu cela, Julien ? Aimer une femme et s’amuser avec une autre, mais cela n’a jamais eu aucune importance. Faut-il que les hommes soient jobards pour se créer ainsi des complications inutiles ?

Avant que j’eusse pu répondre à Antoine, la voix de Mme de Lérins s’éleva :

— Eh bien ! permettez-moi de vous dire que vous vous trompez, cher monsieur Hurtin. Ces complications, comme vous les appelez, ne sont pas inutiles et M. Bertin n’a pas tort de respecter son amour. Cela prouve qu’il y a plus d’hommes délicats que vous ne pensez. Ainsi, moi, je connais des gens très capables de renoncer à un caprice qui s’offre à eux parce qu’ils ont pour quelqu’un d’autre un sentiment qui leur tient au cœur. Vous