Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/76

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et qui appartiennent à la société la plus chic, de très distinguées qui font partie certainement des milieux les plus aristocratiques. Voici aussi beaucoup de femmes de médecins, de femmes de professeurs, de femmes d’artistes. Elles se distinguent les unes des autres par leur façon de s’habiller. Toutes s’efforcent de réaliser la mode du moment, mais elles y parviennent chacune par des artifices différents. Les habits noirs des hommes marquent les mêmes différences sociales. On y constate des coupes distinctives. Il y a un habit noir pour chaque profession. Les nœuds des cravates blanches sont aussi des signes auxquels il est difficile de se tromper. Comme de l’embrasure d’une porte je me livre à cet examen, quelqu’un me coudoie en passant. Je me détourne, un peu agacé, et je reconnais Gernon.

Tiens, Tullier connaît donc Gernon ! Le petit homme, après s’être excusé, est demeuré à côté de moi. Je le regarde. Je le vois mieux, ici, que sur le tréteau de l’Odéon. Il a vraiment une curieuse figure, à la fois rusée et naïve. Je ne savais pas qu’il quittât si volontiers sa mansarde de la rue Descartes. Sans doute, depuis qu’il est célèbre, il fréquente le monde pour se rendre compte si sa gloire a pénétré dans les salons. Après tout, cette curiosité est bien naturelle. Il a bien le droit de goûter, même sous cette forme, la notoriété tardive qui lui est échue et dont il semble fier, car il se rengorge et se cambre dans son habit extraordinairement râpé. On sent que, pour un peu, il dirait : « Mais admirez-moi donc, je suis Gernon ! » Il a remarqué que je l’observe et il