Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/97

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gamment, et comme je me précipitais pour aller le recevoir à l’autre bord ! Mais mon plaisir avait encore une autre cause. La possession d’un « bateau Thomas » me tirait du commun et me plaçait au rang des privilégiés. Les possesseurs de ces bateaux formaient, parmi le jeune public du bassin, un clan à part. On s’y traitait d’égal à égal et l’on n’était pas sans considérer avec quelque dédain les camarades moins bien partagés. Or, la Lambarde était un des plus jolis sloops sortis des mains du père Thomas. J’avais le droit d’en être fier, et je le fus bien davantage quand un gros garçon joufflu s’approcha de moi, me fit compliment de mon acquisition, m’engageant à faire partie de son escadre et à en arborer le pavillon bleu à croix rouge.

Ce gros garçon, que je revois encore avec sa face claire, piquetée de taches de rousseur, avec ses cheveux ébouriffés, ses énormes mollets nus et son costume marin à large col, tenait un rôle important dans nos jeux nautiques. Il s’appelait Antoine Hurtin et on le désignait le plus souvent sous le nom de « l’Amiral ». L’Amiral était fort considéré parmi nous. Il possédait plusieurs superbes bateaux qui faisaient l’admiration de notre troupe enfantine et qui lui donnaient sur nous une incontestable autorité. Antoine Hurtin prenait d’ailleurs la situation au sérieux, et il imposait à son état-major une stricte discipline. Cependant, l’Amiral, il faut le reconnaître, n’abusait pas trop de son pouvoir. Quoique violent et impétueux à l’occasion, il était, au fond, bon diable. Et puis il excellait à organiser