Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/300

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Elle avait un visage de douleur furieuse, les cheveux épars, les seins haletants, la gorge suffocante, les lèvres tordues ; elle crispait sa colère muette dans le soubresaut du métal et y roidissait son attitude forcenée et captive.

Les jours se succédaient ; ma solitude, prisonnière d’elle-même, collait sa face aux fenêtres ; le front contre la vitre qui, de sa transparence immobile, me séparait du dehors, parfois, je croyais sentir le verre se fondre comme de l’eau et mes larmes coulaient sur mes joues, parfois aussi il me semblait que tout le cristal craquât et se fendît comme frappé de la pierre d’une fronde.

Un soir que, tout le jour, n’étaient venus sur la place ni mendiants ni colporteurs, que le heurtoir n’avait pas une fois retenti, que j’allais quitter la fenêtre d’où je suivais au crépuscule les méandres d’une chauve-souris voletante dans le ciel encore clair ou rasant le pavé comme une feuille morte de l’heure, un soir donc, au crépuscule, je vis une femme qui passait. Elle me regarda.

Je l’ai suivie, je l’ai suivie, je l’ai suivie ! Ah, Monsieur, j’entends encore dans mon souvenir