Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/43

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ramait plus : des bateliers les menaient à la perche. Enfin elles accostèrent : on les amarra au quai et on jeta les passerelles.

Polydore se leva des coussins où il était étendu à l’avant du bateau. Un tendelet l’abritait ; la tenture de soie s’étalait au haut de quatre hampes d’argent, il en soulevait le pan, d’une main chargée de bagues. Sa mise m’étonna : il portait un ample habit bariolé et à sa boutonnière jacassait une de ces tulipes bigarrées dites perroquets. Le bateau, d’ailleurs, était aussi une volière. Je sautai sur le pont un peu brusquement peut-être car les cages pleines d’oiseaux curieux s’effarouchèrent avec un bruit d’ailes et de cris en même temps que je heurtai du bout de ma botte le ventre d’une mandoline qui traînait là. Des piles de livres où je m’empêtrai sombrèrent à l’eau et y enfoncèrent du poids de leurs reliures. Bleuâtres, mordorés, verdis ou pourpres de leurs maroquins lisses ou de leurs peaux imbriquées, ils semblaient, à travers l’eau où ils disparaissaient, devenir de changeants poissons, murènes glauques ou cyprins orangés. Pour achever le désordre, un petit singe, sur la queue duquel je marchai, grimpa en criant dans