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LES JEUX RUSTIQUES ET DIVINS

Sur la grève où gémit le flot intarissable,
Gonflent leurs conques d’or ou dorment sur le sable.


LE TRITON


Homme à la barbe grise et toi, Faune au poil gris,
Pourquoi donc troublez-vous mon sommeil ? Ai-je pris
Une grappe à ta vigne, un fruit à ton verger ?
Pourquoi de son repos venez-vous déranger
Le vieux Triton qui dort et que l’âge ankylose
Couché près de la mer parmi le sable rose ?
Laissez-moi ; d’autres sont, hélas ! ce que nous fûmes,
Torses nus imbriqués d’écaillés et d’écumes,
Bras musculeux haussant hors de l’eau qui déferle
La branche de corail et la goutte de perle ;
Jeune comme eux, parmi les grands flots forcenés
J’ai cabré le saut vif des Dauphins talonnés,
Et des algues j’ai fait de longs fouets et des rênes,
Et sur la lame j’ai poursuivi les Sirènes
Émergeant à mi-corps, poissonneuses et nues ;
Mais la vieillesse aussi pour elles est venue,
Sournoise, qu’elle guette, ou brusque, quelle assaille ;
Le sourire se clôt et la croupe s’écaille,
La blanche chair se hâle aux morsures du vent ;
L’écume aux cheveux roux mêle des cheveux blancs.
Tout meurt ; l’homme chancelle et gît ; le dieu trébuche.