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POÈMES DIVERS


Toi qui pure, sans fond, silencieuse et noire,
Entre tes bords de marbre encadres tristement
Le fluide métal de ta morne mémoire,
Médaille du Narcisse en ton onde dormant ;

Toi que les soirs en sang empourprent de blessures,
Comme si le Jour, las des luttes de la Nuit,
Venait laver parmi ton flot ses mains impures
D’avoir cueilli des fleurs, des grappes et des fruits ;

Oh toutes trois, dans l’ombre ou la clarté, Fontaines,
Toutes trois vous avez chanté dans mon Destin
Et mes soirs obstinés et mes heures hautaines
Sont venus consulter vos miroirs incertains.

Je m’y suis vu celui qui saigne et qui s’aborde
Et s’est perdu et se retrouve et l’Étranger
Qui porte en son manteau noir que les ronces mordent
Le morceau de pain noir qu’il ne veut pas manger.

Je m’y suis vu avec la face de mon songe
Et j’y reconnaissais, au-devant de mes yeux.
Dans ce miroir plus trouble où l’ombre se prolonge,
Le fantôme éloquent au flot silencieux.