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LES JEUX RUSTIQUES ET DIVINS


LE VEILLEUR DE PROUE


Je suis celui qui saigne sur la proue…
Les uns m’ont craché au visage,
Les autres m’ont frappé à la joue,
Certains plus sages
Boivent ou se disputent et jouent
Ma robe aux dés et moi, nu dans ma chair,
Je saigne sur la proue,
Je saigne sur la Mer !

Elle est belle sans doute ce soir sous les étoiles
Qui montent et que je ne vois pas…
Oh taillez mon linceul dans la pourpre des voiles !
Et que je meure, je suis las,
Las de mes yeux sanglants et de ma chair qui saigne
Et de vos cris vous qui m’avez
Cloué sur la proue et m’avez
Bouché les oreilles de cire
Pour que je n’entende pas les Sirènes,
Et aveuglé
Pour que je ne voie pas les Sirènes,
Vous qui m’avez cloué avec des rires
Qui redoublaient à chaque clou
Sur la proue et m’avez cru fou
Alors que seul j’y vois clair,
Moi qui voyais des Sirènes sur la Mer