Page:Régnier - Les Médailles d’argile, 1903.djvu/152

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
148
les médailles d’argile

Ferme tes yeux à la lumière dont encor
S’emplit leur rouge nuit du reflet d’un soir d’or.
Suis-moi qui t’ai suivi longtemps. Tais-toi. Prends garde.
Descends encor. C’est bien. Ouvre les yeux. Regarde !

Tu vois, là-bas, roulant la vase de ses eaux,
Le noir fleuve entourer de son fluide anneau,
A travers l’ombre trouble et la clarté nocturne,
Abrupte ou sablonneuse et partout taciturne,
L’Ile silencieuse où séjournent les Dieux.
Le Temps ne les a pas respectés. Ils sont vieux
Et leurs cheveux sont blancs et leurs barbes sont blanches.
Vois Bacchus corpulent qui saisit, lève et penche.
L’amphore vide d’où ne coule plus nul vin,
Son thyrse est un cep mort sans pampre ni raisin
Et l’inquiet Hermès lui compare en pensée
Le bâton nu qui fut jadis le caducée
Où ne s’enroulent plus les mystiques serpents ;
Les Satyres lassés auprès des Aegypans
Dorment ou lourdement s’étirent et la corne
Pastorale est rompue au front osseux des Faunes.
Ne reconnais-tu point en ces spectres errants
Les fantômes des Dieux que le monde a crus grands,
Terribles, bienveillants, injurieux ou fourbes,
Durs à qui leur résiste et durs à qui se courbe,
Innombrables, vivants, suprêmes, immortels