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18 PORTRAITS ET SOUVENIRS

haï, maison le craint. N’a-t-il pas l’art de distribuer également bien la louange et le ridicule ? M. de Valmont va la tête haute. Il n’est hypocrite que lorsqu’il lui convient. Mme de Merteuil l’est par une nécessité continuelle. Elle subordonne ses plaisirs à sa réputation. Elle est secrète et souterraine ; aussi ses succès ne se tournent-ils pas, comme ceux de Valmont, en vanité ; ils se transforment en orgueil, si l’orgueil n’est qu’une vanité taciturne. La vanité de Valmont est qu’on parle de lui. L’orgueil de Mme de Merteuil est qu’on se taise sur elle. Cependant, quand elle a trouvé un confident en Valmont, elle s’épanche. Elle écrit alors la terrible lettre LXXXI où elle se livre, où elle explique le chef d’œuvre de sa conduite, où elle raisonne son caractère. Mais n’est-ce point se démentir que de s’avouer ainsi ? Singulier confesseur que M. de Valmont ! Vous ne connaissez pas Mme de Merteuil. M. de Val- mont sera discret. Mme de Merteuil ne sait-elle pas de lui un certain trait qui, s’il était connu, le force- rait à sortir du Royaume ? Ah ! leur amitié est solide. Elle repose sur le seul point qui compte pour ces amis : un intérêt égal et réciproque. Et ils iront ainsi, côte à côte, jusqu’au jour où quelque événement fortuit les mettra face à face, et dénouera dans le sang et la honte leur hostile et dangereuse liaison.