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LACLOS 19

De tels êtres ne sont pas seulement dangereux à eux mêmes, mais à tous ceux qui les approchent. Il faut les fuir. C’est ce que veut démontrer l’œuvre de Laclos, car cet observateur est un moraliste. Cette préoccupation de moraliser se sent dans le dénouement, en quelque sorte, providentiel de son roman, dénouement plus complaisant que logique, et peut-être destiné à satisfaire davantage le public que l’auteur même. Quoi qu’il en soit de ses intentions, ce livre n’en reste pas moins un des plus surprenants de notre littérature romanesque. Le sujet en est trop célèbre pour que j’en veuille rien dire. Cent soixante-quinze lettres, dont quelques-unes sont admirables, l’exposent avec une ingéniosité merveilleuse. Il en résulte un chef-d’œuvre à la fois profond, spirituel et licencieux. Entre les deux grands portraits de Mme de Merteuil et de M. de Valmont, s’y montre la touchante figure de la Pré sidente deTourvel. Ses lettres à elle ont un accent de tendresse, de grâce et de passion. Elles sont le cri d’une âme ardente, délicieuse et faible. Leur charme est bien fort, puisqu’elles ont touché Val- mont lui-même, car Valmont aima Mme de Tourvel. Il l’aima à sa façon et, si cette façon fut de la faire mourir en la sacrifiant sottement et bassement à sa