Page:Régnier - Portraits et Souvenirs, 1913.djvu/94

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sarcasmes, les plaisanteries, les colères qui, dans la presse et dans le public, accueillaient les rares poèmes que publiait Mallarmé. On allait les chercher dans les petites revues d’alors où ils paraissaient et l’on s’égayait à leurs dépens. L’irritation qu’ils causaient s’en prenait à leur auteur. On eut ainsi ce spectacle singulier d'un homme discret et infiniment distingué, d’un artiste d’irrécusable probité et de haute valeur, vilipendé et outragé parce qu’il lui plaisait de composer à l’écart des poésies quelque peu énigmatiques et dont le sens, toujours subtil, précis et profond, ne se révélait pas à première vue.


Et notez que je n’exagère pas. Il serait à souhaiter que l’on réunît, un jour ou l’autre, les articles écrits sur Stéphane Mallarmé de 1885 à 1895. On y verrait le traitement infligé à un poète pour le seul fait qu’il lui ait convenu de dissimuler sa pensée sous les voiles du symbole, de la raffiner d’allusions, de la fortifier d’ellipses et de s’affranchir des pro- cédés habituels d’expression, d’être, en un mot, un auteur obscur.

Que la clarté soit une des qualités les plus belles de notre littérature, une de celles qui font sa force traditionnelle et la parent d’un éclat précieux, je n’en disconviens nullement, mais il ne faut pas oublier non plus que les auteurs obscurs et difficiles ont une place importante et méritée dans nos let-