Je conviens que tes vers ne valent point grand’chose,
Qu’un lecteur bonnement croit lire de la prose ;
Cependant dussent-ils cent fois plus l’ennuyer,
D’un compliment du moins on devrait te payer.
Mais non, d’un air railleur et qui sent la satire,
Si de toi je leur parle, ils se mettent à rire ;
Et d’un rimeur enfin ils font bien moins d’état
Que d’un maçon habile, ou même d’un soldat.
Boileau l’a déjà dit, et moi je le répète,
C’est un triste métier que celui de poète.
De ceci cependant ne sois pas affecté,
Nous écrivons tous deux pour la postérité.
Bien d’autres, il est vrai, jouissant de leur gloire,
Ont vu leurs noms inscrits au temple de mémoire.
Gresset et Despréaux par leurs contemporains
Furent, dès leur vivant, loués pour leurs lutrins.
De Belloi, de Ronsard, et Molière et Racine,
Bien choyés, bien payés, avaient bonne cuisine.
Pour nous, cher Labadi, dans ce pays ingrat,
Où l’esprit est plus froid encore que le climat,
Nos talents sont perdus pour le siècle où nous sommes ;
Mais la postérité fournira d’autres hommes,
Qui goûtant les beautés de nos écrits divers,
Célébreront ma prose aussi bien que tes vers.
Prédire l’avenir est ce dont je me pique,
Tu peux en croire enfin mon esprit prophétique :
Nos noms seront connus, un jour en Canada,
Et chantés de Vaudreuil jusqu’à Kamouraska.