Page:Réunion des sociétés des beaux-arts des départements, volume 27, 1903.djvu/696

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Le jour même le commandant le mettait entre les mains du matelot Kernau qui jugea opportun de commencer par le griser. À la sortie du cabaret on se battit avec des soldats qui passaient. « Un marin a le droit de battre les bourgeois, les soldats et tout le tremblement », prétendait Kernau. On alla dormir au violon ! Quoi de mieux ? Kernau n’était-il pas chargé de l’éducation du novice ?

Bientôt, cependant, il ne s’agit plus d’être gris, mais de monter au haut d’un mât. « En me voyant ainsi suspendu à près de quatre-vingts pieds au-dessus d’une mer furieuse qui enlevait la frégate comme si elle eût été une tige de paille, je me sentais pris de vertige et je me cramponnais du mieux que je pouvais. — Kernau, dis-je à mon matelot, je sens que je ne puis plus résister, je vais tomber. — Bah ! est-ce qu’on tombe ? reprit-il ! — Appelant à mon aide toute ma force de volonté et toute mon énergie, j’essayai d’obéir ; mais à peine avais-je lâché la vergue que la frégate donna un violent coup de tangage. Ne m’attendant pas à ce mouvement contraire, je perdis l’équilibre. — Kernau, je tombe, m’écriai-je de nouveau en fermant les yeux. Je me sentais déjà au fond de la mer ! »

Le premier combat auquel Garneray prit part fut celui de Madras. Il sut plus tard que Kernau avait ordre de le jeter à la mer s’il faiblissait. On ne gâtait pas les enfants dans cette fin de siècle[1] !

Du 30 décembre 1797 au 26 avril 1798, le novice servit sur la prise l’Elcinger[2] ; puis il passa comme matelot à 24 francs sur la corvette le Brûle-Gueule, où il resta du 27 avril 1798 au 30 juillet 1799[3].

Entre temps il reprenait ses crayons — ne les aimait-il pas autant que la mer ? — il les reprenait trop souvent même car le papier à dessin ne courant point généralement le pont des navires il se servait de tout, illustrait tout ce qui lui tombait sous la main, illustrait avec rage jusqu’aux cages à poules et jusqu’au journal du bord, ce qui était dangereux n’entrant point dans les attributions

  1. Le commandant Beaulieu-Leloup fut tué par un boulet sur la Forte, en 1801.
  2. Dans certaines pièces on a écrit le Linger.
  3. Archives de la marine.