Page:Réunion des sociétés des beaux-arts des départements, volume 27, 1903.djvu/697

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ordinaires d’un matelot ; il allait l’apprendre s’il l’ignorait : « — Ayant eu plusieurs fois à ma disposition, en ma qualité de timonier, le journal du bord, je n’avais pu résister à la tentation par trop forte d’une feuille de papier blanc et d’une plume à peu près taillée et je m’étais permis de griffonner en marge, au dos, des navires de toutes formes et de toute grandeur. Un matin, M. Frélot, officier fort sévère, aperçut une de mes productions antiréglementaires. — Qui a osé se permettre de salir ainsi ce journal ? me demanda-t-il d’une voix prête à s’élever. Interdit, je cherchais une réponse lorsque pour comble de malheur le capitaine se montra sur le pont et se dirigea vers l’endroit de la dunette où nous nous trouvions ; hélas ! il venait justement demander le journal du bord.

« Je laisse à deviner l’embarras que j’éprouvai lorsque le lieutenant en pied montra, d’un air de triomphe, à M. Bruneau de la Souchais le dessin accusateur. Le capitaine l’examina avec beaucoup d’attention, puis tout à coup et d’un air sévère : — Quel est l’auteur de ce chef-d’œuvre ? demanda-t-il au lieutenant. — Je l’ignore, capitaine, répondit celui-ci en souriant d’un petit air malicieux et satisfait qui me fit peur ; j’adressais à l’instant cette même question au timonier Garneray qui ne m’a pas répondu. — Eh bien ! Garneray, entendez-vous ! me dit M. Bruneau de la Souchais, M. Frélot vous parle.

« Après avoir, avec cette lucidité et cette promptitude que donne le stimulant du danger à notre esprit, cherché pendant une seconde un moyen, soit de me tirer de ce mauvais pas, soit d’atténuer les conséquences fâcheuses que devait entraîner pour moi ma faute, je ne trouvai rien de mieux que cette phrase-ci : — C’est moi, capitaine, qui ai commis ce dessin. — Ah ! c’est vous, Monsieur ; fort bien ; allez me chercher le capitaine d’armes et revenez avec lui ici. Cette mission n’avait rien d’agréable, j’en conviens… il me fallut obéir… Que l’on juge de ma stupéfaction, lorsque j’aperçus, en retournant accompagné du capitaine d’armes, M. Bruneau de la Souchais accroupi devant une cage à poules et occupé à examiner mes dessins, tracés, non plus cette fois à la plume, mais avec la pointe de mon couteau. Je sentais à ce moment seulement toute l’étendue de mon crime et je me vis destiné, au moins, au supplice de la cale mouillée. »