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louis garneray

Les officiers s’amusent du pauvre enfant pour lequel heureusement le supplice de la cale mouillée se réduit à la seule privation de vin « jusqu’à nouvel ordre »… puis à midi : « Monsieur Garneray, me dit M. Bruneau de la Souchais avec cet air affable et ces manières de grand seigneur que personne au monde ne possédait mieux que lui, si vos travaux d’art vous permettent de disposer d’une heure de votre temps, je serai heureux de vous avoir aujourd’hui à dîner avec moi. » L’invitation est quelque peu ironique ; mais qu’importe au gamin, il ne s’en aperçoit même pas, saute de joie et s’empresse de dédaigner les haricots durs et le lard salé de l’ordinaire. « Je me ménageais pour pouvoir faire honneur à la cuisine du capitaine ! — Cré mâtin, me dit un vieux loup de mer placé près de moi, t’as de la chance ; mais je ne voudrais pas, pour dix parts de prise, me trouver dans ta peau. — Pourquoi cela ? — Tiens c’te bêtise ! parce que s’il fallait m’asseoir à côté du capitaine, déplier ma serviette et me l’attacher au cou, cracher en mettant ma main de côté près de ma bouche, retourner ma chique en douceur, enfin avoir ce qu’on appelle de bonnes manières, j’aurais tellement peur d’oublier quèque chose de la civilité, que je serais capable d’étouffer net. T’as pas peur, toi ? — Mais non, pas le moins du monde. — Cré mâtin, il faut que tu aies tout de même un fier toupet ! »

Le Ier août 1799, Garneray est passé sur la frégate la Preneuse, capitaine Lhermitte[1], et le 5 septembre il assiste à la malheureuse affaire de la baie de Lagoa et au terrible combat contre le navire anglais le Jupiter. Il raconte toute cette croisière d’une façon saisissante. Mais, s’il faut lire dans la France maritime[2] l’article extrait de ses Mémoires inédits, qu’il a consacré au combat de l’Ile de France et à la pauvre Preneuse, il en faut lire aussi les détails dans Voyages, Aventures et Combats. Garneray reste toujours dans le domaine de la plus grande simplicité, mais comme il sait mettre en relief et la noblesse et l’héroïsme de Lhermitte ! Combien sont vécues ces pages vibrantes ! combien poignantes les

  1. Lhermitte (Jean-Marthe-Adrien), né à Coutances le 29 septembre 1766 ; mort à Plessis-Picquet, le 28 août 1826, contre-amiral. Baron de l’Empire, préfet maritime de Toulon. V France maritime, t. IV, p. 133.
  2. T. I, p. 316. — Voir aussi plusieurs articles sur la Preneuse. Revue de Rouen, t. IV, p. 91, 158, 205 et 65 ; t. V, p. 145 et 278.