Page:Réunion des sociétés des beaux-arts des départements, volume 27, 1903.djvu/705

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sager, ce ne fut qu’après le départ qu’il acquit la certitude d’être sur un brick négrier.

Une fois en mer, il y faut bien rester ! Le plus grave, c’est que le lieutenant de la Doris étant mort, le capitaine Liard[1] vient supplier Garneray de le remplacer ; il repousse énergiquement la proposition que bientôt, cependant, un sentiment d’obligeance lui fait accepter ; il remplira les fonctions de lieutenant, mais du moins refuse-t-il toute rémunération. Il croyait bien quitter le négrier à Zanzibar. Une seconde déception l’y attendait ! diverses sommes qu’il devait toucher ne pourront lui être versées et, malgré sa profonde répugnance, il lui faut encore s’estimer heureux de reprendre sur la Doris sa place provisoire de lieutenant gratis.

S’il est, dans cette partie des passages oiseux et ternes, il s’y trouve, en revanche, de bien intéressants détails sur la traite qui, abolie par la Convention, subsistait encore clandestinement, et les théories passablement paradoxales de Liard s’évertuant à prouver les bienfaits et l’utilité de la traite. Liard nous est présenté dur, avare, d’une loyauté plus que douteuse ; il a des ruses pour toutes les situations ; il sait travestir son navire, déguiser son équipage ; il sait mystifier la douane, passer en fraude 150 noirs sur 250, etc. Faut-il accepter ces assertions sans contrôle ? nous avons le regret de n’avoir pu éclaircir ce point suspect.[2]

Une révolte éclate à bord de la Doris qui semblait vraiment poursuivie par la fatalité.

« Avais-je tort de vous conseiller, à Bourbon, de ne pas prendre passage sur la Doris, me dit Combaleau ? mettre en mer un vendredi !… M. Chasteney tué par la chute d’un épissoir, l’orage à notre sortie d’Oïve, nos désagréments avec les douaniers de Zanzibar, la révolte d’aujourd’hui et enfin la perte de ce pauvre Mimi… je n’avais que trop bien deviné. Tout cela, n’oubliez pas

  1. Liard (Charles-Noël), 1768-1860. Volontaire dans la marine royale ; puis capitaine marchand, corsaire ; enfin, en 1803, capitaine du brig négrier la Doris, sur lequel il fit deux voyages à la côte d’Afrique. Retiré à Honfleur, il reçut, sous la Restauration, la croix de Saint-Louis. Il avait conservé des journaux de bord où Garneray put rajeunir ses souvenirs. Ch. BRÉARD, Vieilles rues et vieilles maisons de Honfleur, du quinzième siècle à nos jours, p. 75.
  2. Des documents doivent exister qui seraient, dit-on, de nature à réhabiliter la mémoire du capitaine Liard ; mais il nous a été impossible d’en obtenir communication.