Page:Réunion des sociétés des beaux-arts des départements, volume 27, 1903.djvu/708

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en 1821[1], se trouvent des notes de Louis Garneray sur les mauvais traitements qu’enduraient les prisonniers. Battus comme des animaux, sans cesse menacés du fusil, torturés avec cruauté, condamnés pour la moindre peccadille à de véritables supplices, ils supportaient des souffrances indicibles. Si l’on sourit un instant à quelques-unes de leurs malices, on se sent oppressé d’une pitié immense pour ces êtres humains demi-nus, insuffisamment nourris d’un pain visqueux, gluant, que souvent leur estomac refusait ; de harengs salés — salés au point de développer en eux des maladies corrosives souvent mortelles — ou de viande tellement dégoûtante que l’auteur n’y peut appliquer que le mot de charogne immangeable. Aussi quel régal pour ces pauvres rafalés lorsqu’ils peuvent, en quelques minutes, dépecer et dévorer le chien du colonel lord S… égaré dans leur quartier, pendant que son maître, possesseur d’un superbe nègre, s’imagine de faire boxer ce nègre contre un prisonnier français, offrant au vainqueur un prix de vingt livres sterling. Le Breton Robert Lange, pressé par ses camarades, a accepté le défi ; réconforté par un repas copieux bien arrosé, il se présente devant la nombreuse société réunie sur le pont, trapu, mais minuscule auprès de ce colosse majestueusement théâtral. « Je veux que les deux champions se serrent la main avant de combattre, » dit lord S… tout souriant ! « Cette main a déjà tué trois Français », proclame le nègre avec fatuité… Le Breton la saisit. « Elle n’en tuera pas d’autres », prononce-t-il lentement, et il la broie entre ses doigts.

De longs mois s’écoulent. Longs mois de torture. Garneray a tenté de s’évader, tentative infructueuse. Un instant il perd courage ! mais il est doué d’une énergie peu commune, il réagit tout à coup et le voilà qui fait des mathématiques, prend des leçons d’escrime, des leçons de danse !…

Il sait l’anglais, rend des services ; le titre d’interprète lui est décerné ; pour traduire un journal il touchera quotidiennement six sous dont le tiers sera pour acheter crayons, papier, pinceaux et couleurs, car il dessine et fait des portraits. « Pour six pences je donnais une ressemblance de fantaisie ; pour un schilling je la garantissais. »

Bientôt il peut se procurer un bien-être relatif. Peu à peu il est

  1. Paris, nepveu, passage des Panoramas, 26.