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qu’était — j’entends surtout au point de vue religieux — la France d’avant 89, c’est là, dans ces villages des bords du Saint-Laurent, qu’il faut se transporter. Le paysan, ou comme on dit là-bas, l’habitant canadien, y a conservé avec un soin jaloux les habitudes d’esprit, les croyances naïves et aussi les superstitions de ses pères. Les idées sont coulées dans le même moule, et ce n’est pas aisément qu’on brisera cette enveloppe centenaire pour en faire sortir le génie ailé de l’esprit moderne.

N’exagérons rien cependant. Il y a, dans l’air qu’on respire au Canada, plus d’une brise qui annonce l’approche d’un réveil des esprits. Il n’est pas de soupape si hermétiquement fermée que la fermentation des idées justes ne puisse à son heure soulever. Le libéralisme canadien, si timide qu’il soit encore et de quelque déférence qu’il use à l’endroit du clergé, — dont il n’ose guère combattre que les envahissements abusifs dans le domaine politique, — prend cependant, depuis quelques années, une attitude un peu plus décidée et virile. Contrairement à tout ce qui s’était vu jusqu’alors, un journal canadien-français, qui a hardiment arboré le drapeau du libéralisme politique et religieux, la Patrie, fondée depuis cinq ans à Montréal, a pu se maintenir et vivre, malgré l’opposition déclarée de tout le clergé catholique. Et non-seulement ce journal vit, mais il prospère, et son tirage quotidien dépasse huit mille exemplaires, ce qui est un succès sans précédent dans les annales du journalisme français au Canada.

Il est bien difficile d’ailleurs que, placés au milieu de ce monde anglo-saxon et yankee où la démocratie et la liberté coulent à pleins bords, les Canadiens fran-