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AU GRÉ DES FLOTS

vaux harnachés de pompons de couleurs variées, la joie forte et bruyante des hommes, la gaieté loquace des femmes, rien ne manqua.

Deux semaines après le mariage, Pierre partit en mer. Hortense qui avait tant désiré son retour avait hâte maintenant qu’il s’en allât. Pendant le jour, il travaillait à ses filets, préparait son bateau, mettait tout en ordre, et s’embarqua.


III


C’était le printemps, tous les hommes étaient en mer. Le départ de Pierre avait apporté une sorte d’adoucissement à l’amertume du chagrin de la jeune fille. Elle n’aurait plus du moins à s’imposer une telle contrainte pour dissimuler son amour, qui l’enserrait comme dans un étau.

Toutes les femmes avaient repris les travaux du dehors en l’absence de leurs maris. Hortense se jeta, tête baissée dans les besognes les plus dures. Elle ne se souciait plus de sa beauté, ni de sa jeunesse. Elle travaillait avec acharnement pour engourdir la souffrance et endormir les souvenirs cuisants. Son énergie débordante trouvait une issue dans les labeurs qui exigeaient le plus de forces physiques. On la voyait dès l’aube bêchant le jardin, plantant les pommes de terre, hersant les champs, soignant les bêtes, enfin remplaçant sa mère, morte depuis quelques années.

Les voisines disaient d’elles :

« Ça, c’est une femme ».

Toutes l’enviaient pour bru. Les prétendants n’avaient pas manqué, mais elle les avait tous éconduits, sous prétexte qu’elle se devait à son père. La vraie raison est qu’elle ne voulait pas se marier. Elle travaillait donc devant elle au hasard, sans espérance, sans joie, dans les ténèbres de son existence brisée. Elle travaillait pour se tromper elle-même. Cependant les jours passaient et l’automne approchait. Quelques fois elle allait voir sa sœur qui paraissait ni s’ennuyer de l’absence, ni contente du