Page:Rabelais - Gargantua et Pantagruel, Tome III (Texte transcrit et annoté par Clouzot).djvu/18

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lié en terre de l’île prochaine, dite Farouche, pour en faire anatomie et recueillir la graisse des rognons, laquelle disaient être fort utile et nécessaire à la guérison de certaine maladie qu’ils nommaient faute d’argent. Pantagruel n’en tint compte, car autres assez pareils, voire encore plus énormes, avait vu en l’océan Gallique. Condescendit toutefois descendre en l’île Farouche pour sécher et rafraîchir aucuns[1] de ses gens mouillés et souillés par le vilain physétère, à un petit port désert vers le midi, situé lez une touche[2] de bois haute, belle et plaisante, de laquelle sortait un délicieux ruisseau d’eau douce, claire et argentine. Là, dessous belles tentes, furent les cuisines dressées, sans épargne de bois. Chacun mué de vêtements à son plaisir, fut par frère Jean la campanelle[3] sonnée. Au son d’icelle furent les tables dressées et promptement servies.

Pantagruel, dînant avec ses gens joyeusement, sur l’apport de la seconde table, aperçut certaines petites andouilles affétées[4] gravir et monter sans mot sonner sur un haut arbre près le retrait du gobelet[5]. Si[6] demanda à Xénomanes : « Quelles bêtes sont-ce là ? » pensant que fussent écurieux[7], belettes, martres ou hermines. « Ce sont andouilles, repondit Xénomanes. Ici est l’île Farouche de laquelle je vous parlais à ce matin. Entre lesquelles et Carêmeprenant, leur malin et antique ennemi, est guerre mortelle de longtemps. Et crois que par les canonnades tirées contre le physétère aient eu quelque frayeur et doutance[8] que leur dit ennemi ici fût avec ses forces pour les surprendre, ou faire le gât[9] parmi cette leur île, comme jà plusieurs fois s’était en vain efforcé, et à peu de profit, obstant[10] le soin et vigilance des andouilles, lesquelles, comme disait Dido aux compagnons d’Ænéas voulant prendre port en Carthage sans son su et licence, la malignité de leur ennemi et vicinité[11] de ses terres contraignaient soi continuellement contregarder et veiller.

— Dea[12], bel ami, dit Pantagruel, si voyez que par quelque honnête moyen puissions fin à cette guerre mettre, et ensemble les réconcilier, donnez-m’en avis. Je m’y emploierai de bien bon cœur, et n’y épargnerai du mien pour contempérer[13] et amodier les conditions controverses entre les deux parties.

— Possible n’est pour le présent, répondit Xénomanes. Il y a environ quatre ans que, passant par ci et Tapinois, je me

  1. Quelques-uns.
  2. Un bouquet.
  3. Cloche.
  4. Sournoises.
  5. L’office.
  6. Ainsi.
  7. Écureils.
  8. Soupçon.
  9. Dégât.
  10. S’y opposant.
  11. Voisinage.
  12. Vraiment.
  13. Tempérer.