Page:Rabelais - Gargantua et Pantagruel, Tome III (Texte transcrit et annoté par Clouzot).djvu/27

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saisir à la gorge. « Par Dieu, dit Gymnaste, tu n’y entreras qu’à taillons[1], ainsi entier ne pourrais-tu. » Si saque[2] son épée Baise-mon-cul, ainsi la nommait-il, à deux mains, et trancha le cervelas en deux pièces. Vrai Dieu, qu’il était gras ! Il me souvint du gros Taureau de Berne, qui fut à Marignan tué à la défaite des Suisses. Croyez qu’il n’avait guère moins de quatre doigts de lard sur le ventre. Ce cervelas écervelé, coururent andouilles sur Gymnaste, et le terrassaient vilainement, quand Pantagruel avec ses gens accourut le grand pas au secours. Adonc commença le combat martial pêle-mêle. Riflandouille riflait[3] andouilles. Tailleboudin taillait boudins. Pantagruel rompait les andouilles au genoil[4]. Frère Jean se tenait coi dedans sa truie, tout voyant et considérant, quand les godiveaux[5] qui étaient en embuscade, sortirent en grand effroi[6] sur Pantagruel. Adonc voyant frère Jean le désarroi et tumulte, ouvre les portes de sa truie, et sort avec ses bons soudards, les uns portants broches de fer, les autres tenants landiers, contre-hâtiers[7], poêles, pales[8], coquasses[9], grils, fourgons, tenailles, lèchefrites, ramons[10], marmites, mortiers, pilons, tous en ordre comme brûleurs de maison, hurlants et criants tous ensemble épouvantablement : Nabuzardan, Nabuzardan, Nabuzardan. En tels cris et émeute choquèrent[11] les godiveaux et à travers les saucissons. Les andouilles soudain aperçurent ce nouveau renfort, et se mirent en fuite le grand galop, comme si elles eussent vu tous les diables. Frère Jean, à coups de bedaines[12], les abattait menu comme mouches : ses soudards ne s’y épargnaient mie[13]. C’était pitié. Le camp était tout couvert d’andouilles mortes ou navrées[14]. Et dit le conte que si Dieu n’y eût pourvu, la génération andouillique eût par ces soudards culinaires toute été exterminée. Mais il advint un cas merveilleux. Vous en croirez ce que voudrez. Du côté de la transmontane[15] advola un grand, gras, gros, gris pourceau, ayant ailes longues et amples, comme sont les ailes d’un moulin à vent, et était le pennage[16] rouge cramoisi comme est d’un phœnicoptère, qui en Languegoth[17] est appelé flammant. Les œils avait rouges et flamboyants comme un pyrope[18], les oreilles vertes comme une émeraude prassine[19], les dents jaunes comme une topaze, la

  1. Tranches.
  2. Ainsi tire.
  3. Enlevait par tranches.
  4. Genou.
  5. Pâtés.
  6. Tumulte.
  7. Chenets pour la broche.
  8. Pelles.
  9. Chaudrons.
  10. Balais.
  11. Assaillirent.
  12. Boulets.
  13. Point.
  14. Blessés.
  15. Nord.
  16. Plumage.
  17. Languedoc.
  18. Escarboucle.
  19. Vert-poireau.