Page:Rabelais - Gargantua et Pantagruel, Tome II (Texte transcrit et annoté par Clouzot).djvu/31

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de mariage, ma femme, impatiente de ma langueur, à autrui s’abandonnait, et non seulement ne me secourût au besoin, mais aussi se moquât de ma calamité, et (que pis est) me dérobât, comme j’ai vu souvent advenir, ce serait pour m’achever de peindre et courir les champs en pourpoint.

— Point donc ne vous mariez, répondit Pantagruel.

— Voire mais, dit Panurge, je n’aurais jamais autrement fils ni filles légitimes, esquels j’eusse espoir mon nom et armes perpétuer, esquels je puisse laisser mes héritages et acquêts (j’en ferai de beaux un de ces matins, n’en doutez, et d’abondant[1] serai grand retireur de rentes), avec lesquels je me puisse ébaudir quand d’ailleurs serais méshaigné[2], comme je vois journellement votre tant bénin et débonnaire père faire avec nous, et font tous gens de bien en leur sérail et privé. Car quitte étant, marié non étant, étant par accident fâché, en lieu de me consoler, avis m’est que de mon mal riez.

— Mariez-vous donc, de par Dieu, répondit Pantagruel. »

COMMENT PANTAGRUEL REMONTRE À PANURGE DIFFICILE CHOSE ÊTRE LE CONSEIL DE MARIAGE, ET DES SORTS HOMÉRIQUES ET VIRGILIENS.

« Votre conseil, dit Panurge, sous correction, semble à la chanson de Ricochet : ce ne sont que sarcasmes, moqueries, paranomasies[3], épanalepses[4] et redites contradictoires. Les unes détruisent les autres. Je ne sais esquelles me tenir.

— Aussi, répondit Pantagruel, en vos propositions tant y a de si et de mais, que je n’y saurais rien fonder ni rien résoudre. N’êtes-vous assuré de votre vouloir ? Le point principal y gît : tout le reste est fortuit et dépendant des fatales dispositions du ciel. Nous voyons bon nombre de gens tant heureux à cette rencontre qu’en leur mariage semble reluire quelque idée et représentation des joies de paradis. Autres y sont tant malheureux que les diables qui tentent les ermites par les déserts de Thébaïde et Montserrat ne le sont davantage. Il s’y convient mettre à l’aventure, les yeux bandés, baissant la tête, baisant la terre, et se recommandant à Dieu au demeurant, puisqu’une fois l’on s’y veut mettre. Autre assurance ne vous en saurais-je donner.

  1. En outre.
  2. Chagriné.
  3. Rencontres de mots.
  4. Répétitions.