Page:Rabelais - Gargantua et Pantagruel, Tome I (Texte transcrit et annoté par Clouzot).djvu/15

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événement fâcheux vint interrompre les études des deux amis à la fin de 1523. Leurs relations suspectes au dehors, leur amour des livres, et surtout des livres grecs toujours soupçonnés d’hérésie, leur avaient attiré l’animadversion de moines ignorants et grossiers. On fouilla leurs cellules. On saisit livres et papiers. Pierre Amy, plus exposé, prit la fuite. Rabelais s’en tira à meilleur compte, sans doute grâce à la protection de l’évêque et du lieutenant du roi, qui firent entendre aux cordeliers qu’ils allaient s’attirer l’hostilité de gens en crédit.

Mais l’avertissement ne fut pas perdu. Privé de la société de son Pylade (Amy était allé chercher refuge dans un couvent bénédictin près d’Orléans), menacé de nouvelles persécutions, maître François employa Geoffroy d’Estissac à le tirer de Fontenay. Grâce à cette intervention, on peut le croire, le pape Clément VII l’autorisa à quitter son ordre et à revêtir l’habit de Saint-Benoît. Il entra au monastère de Maillezais, dont son bienveillant protecteur était abbé, et y resta « plusieurs années », sans que l’on puisse autrement préciser. On sait cependant que le prélat, de plus en plus charmé de son savoir et de ses entretiens, l’attacha à sa personne comme secrétaire, en lui faisant entrevoir l’obtention d’un bénéfice, qui semble être toujours resté à l’état de promesse.

On aimerait à être mieux renseigné sur ces années, les plus belles peut-être de la vie de Rabelais et les plus heureuses, puisqu’elles n’ont pas d’histoire. On voulait connaître, autrement que par quelques vers de Jean Bouchet, les réunions de lettrés à Fontaine-le-Comte (Vienne) où le bon Tourangeau devisait « au clair matin » près d’une source limpide, avec le maître du logis, « le noble Ardillon », et ses amis, le voyageur Quentin, le cordelier Trojan, le légiste Nicolas Petit. On désirerait surtout un peu de lumière sur le séjour à Ligugé, dont Geoffroy d’Estissac était prieur, et où il s’entourait, comme les prélats italiens de la Renaissance, de toute une cour d’érudits et de poètes.

Que dura cette vie charmante dans les thélèmes poitevines ? Des mois ou des années ? Nul ne le saurait dire. Mais il est