Page:Rabelais marty-laveaux 02.djvu/142

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
134
le tiers livre

tement diſſolu toute craincte qui me pouoit intimider. Ainſi te ſoit donné des cieulx, touſiours bas & roydde operer. Or doncques à ta parolle ie me mariray. Il n’y aura poinct de faulte. Et ſi auray touſiours belles chambrieres, quand tu me viendras veoir, & ſeras protecteur de leur ſororité. Voy là quand à la premiere partie du ſermon. Eſcoute (diſt frere Ian) l’oracle des cloches de Varenes[1]. Que diſent elle ? Ie les entends, (reſpondit Panurge). Leur ſon eſt par ma ſoif plus fatidicque que des chauldrons de Iuppiter en Dodone. Eſcoute. Marie toy, marie toy : marie, marie. Si tu te marie, marie, marie, treſbien t’en trouueras, veras, veras. Marie, marie. Ie te aſceure que ie me mariray : tous les elemens me y inuitent. Ce mot te ſoit comme vne muraille de bronze[2].

Quant au ſecond poinct, tu me ſemblez aulcunement doubter, voyre deſſier de ma paternité : comme ayant peu fauorable le roydde Dieu des iardins. Ie te ſupply me faire ce bien de croire, que ie l’ay à commandement, docile, beneuole, attentif, obeiſſant en tout & par tout. Il ne luy fault que laſcher les longes, ie diz l’aiguillette, luy monſtrer de pres la proye : & dire, hale, compaignon. Et quand ma femme future ſeroit auſſi gloutte du plaiſir Venerien que fut oncques Meſſalina, ou la marquiſe de Oinſeſtre en Angleterre, ie te prie croire, que ie l’ay encores plus copieux au contentement. Ie ne ignore que Solomon dict[3], & en parloit comme clerc & ſçauant : depuys luy Ariſtoteles[4] a declairé l’eſtre des femmes eſtre de ſoy inſatiable : mais ie veulx qu’on ſaiche que de meſmes qualibre i’ay le ferrement infatiguable. Ne me allegue poinct icy en paragon les fabuleux ribaulx Hercules, Proculus Cæſar[5], & Ma-

  1. L’oracle des cloches de Varenes. Dans l’Itinerarium paradiſi de Jean Raulin (Pariſiis, 1524, Sermo de viduitate, fol. 148 vo) on trouve le récit suivant : « Certaine veuve vint demander à son curé si elle devait se remarier. Elle alléguait qu’elle était sans aide et qu’elle avait un très bon valet, habile dans l’art de son mari. Alors le curé lui dit : Bien ! prenez-le. Elle répondit : mais il y a danger à le prendre, de mon valet je ferai un maître. Alors le curé dit : Bien, ne le prenez pas. Mais elle : Que ferai-je ? Je ne puis soutenir ce poids que soutenait mon mari, si je n’en ai un. Alors, le curé dit : Bien, ayez-le. Et elle : Mais s’il était méchant et voulait perdre et usurper mon bien ? Alors le curé : Ne le prenez donc pas. Et ainsi, selon ses arguments, le curé se rangeait toujours à son avis. Mais voyant qu’elle voulait avoir ce valet et était à sa dévotion, il l’engagea à bien comprendre ce que lui diraient les cloches de l’église et à faire selon leur conseil. Les cloches sonnant, elle comprit, suivant son vouloir, qu’elles disaient : Prens ton varlet, prens ton varlet. L’ayant pris, le valet la battit de son mieux ; et elle devint servante, de maîtresse qu’elle était. Alors elle se plaignit au curé de son conseil, maudissant l’heure où elle l’avait cru. Mais celui-ci lui dit : Vous n’avez pas bien entendu ce que disent les cloches. Le curé les sonna, et elle comprit alors ce qu’elles disaient, car le tourment lui en avait facilité l’intelligence. »
  2. Comme vne muraille de bronze.

    Hic murus alieneæus esto.

    (Horace, Épitres, I, 1, 60)
  3. Que Solomon dict. « Tria sunt insaturabilia… infernus, et os vulvæ, et terra. » — Proverbes, XXX, 15, 16.
  4. Ariſtoteles. Ἄπληστοι ὤςπερ αί γυναῖϰες. (Problèmes, IV, 26. Collect. Didot, t. IV, p. 141)
  5. Hercules, Proculus Cæſar. « Proculus imperator… (ut testatur ejus ad Metianum epistola) ex captis centum Sarmaticis virginibus decem prima nocte inivit, omnes autem intra quindecim dies constupravit. Sed majus illo est quod poetæ narrant de Hercule, illum quinquaginta virgines (v. Diodor. Sic. V, 2) una nocte omnes mulieres reddidisse. (Henrici Cornelii Agrippæ… De incertitudine & vanitate omnium scientiarum. cap. LXIII. De arte meretricia)