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chapitre xxviii.

seras. Digne vertus de Dieu, ie commence entrer en fascherie. Vous aultres cerueaulx enfrocquez, n’y sçauez vous remede aulcun ? Nature a elle tant destitué les humains, que l’home marié ne puisse passer ce monde sans tomber es goulphres & dangiers de Coqüage ?

Ie te veulx (dist frère Ian) enseigner vn expedient, moyenant lequel iamais ta femme ne te fera coqu sans ton sceu & ton consentement. Ie t’en prie (dist Panurge) couillon velouté. Or diz, mon amy. Prens (dist frère Ian) l’anneau de Hans Carüel[1] grand lapidaire du Roy de Melinde. Hans Carüel estoit home docte, expert, studieux, home de bien, de bon sens, de bon iugement, debonnaire, charitable, aulmonsnier, philosophe : ioyeulx au reste, bon compaignon, & raillart, si oncques en feut : ventru quelque peu, branslant de teste, & aulcunement mal aisé de sa persone. Sus ses vieulx iours il espousa la fille du baillif Concordat, ieune, belle, frisque, guallante, aduenente, gratieuse par trop enuers ses voisins & seruiteurs. Dont aduint en succession de quelques hebdomades, qu’il en deuint ialous, comme vn Tigre : & entra en soubson, qu’elle se faisoit tabourer les fesses d’ailleurs. Pour à laquelle chose obuier, luy faisoit tout plein de beaulx comptes touchant les desolations aduenues par adultere : luy lisoit souuent la legende des preudes femmes[2] : la preschoit de pudicité, luy feist vn liure des louanges de fidelité coniugale, detestant fort & ferme la meschanceté des ribauldes mariées : & luy donna vn beau carcan tout couuert de Sapphyrs orientaulx. Ce non obstant, il la voioyt tant deliberée, & de bonne chere auecques ses voisins, que de plus en plus croissoit sa ialousie. Vne nuyct entre les aultres estant auecques elle couché en telles

  1. « Voici la généalogie exacte du Conte de l’Anneau de Hans Carvel. L’invention en est due à Poge… Qu’on lise la 133 de ses facéties, intitulée Visio Francisci Philelphi, on reconnoîtra que Rabelais… n’a fait que mettre le nom de Hans Carvel à la place de celui de Philelphe. On trouve ensuite ce conte dans la onzième des Cent nouuelles nouuelles… L’Arioste est le troisiéme qui l’a mis en œuvre à la fin de la cinquième de ses Satires… Un anonyme qui fit imprimer in-16, à Lyon, en 1555, un recueil de plaisantes Nouvelles, a employé ce conte dans la xi. Celio Malespini l’a aussi employé, p. 288, de la seconde partie de ses Ducento Novelle, imprimées in-4, à Venise l’an 1609… La Fontaine, en 1665, habilla joliment en vers la prose de Rabelais… Enfin, pour couronnement de l’œuvre, on a essayé de le mettre en petits vers Anacréontiques Latins dont les connoisseurs jugeront. » (La Monnoye, Ménagiana, t. i, p. 369). La pièce en vers latins qui suit ce morceau est évidemment de La Monnoye lui-même.
  2. Carvel craignant de sa nature
    Le cocuage & les railleurs,
    Alleguoit à la creature,
    Et la legende, & l’écriture,
    Et tous les Liures les meilleurs.

    dit La Fontaine. Au moyen âge il y avait une littérature morale destinée à faire bien comprendre aux femmes l’étendue de leurs devoirs. On peut voir la bibliothèque spéciale fort curieuse du Ménagier de Paris à ce sujet : l’histoire de Griselidis tient le premier rang, et le chien de Montargis lui-même est cité comme un exemple de fidélité à son maître que les femmes doivent s’efforcer d’imiter. On.se rappelle avec quelle chaleur Gorgibus vante (Molière, Sganarelle, acte i, sc. i) :

    Les Quatrains de Pibrac, & les doctes Tablettes
    Du Conseiller Mathieu…

    et aussi La Guide des Pecheurs. Un peu plus tard, Arnolphe compose pour Agnès Les Maximes du mariage, comme Carvel avait fait pour sa femme Les louanges de fidélité conjugale.