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Page:Rabelais marty-laveaux 03.djvu/41

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chapitre vii

guoit l’aſne, diſant. Et puis pauure baudet, & comment t’en va, que te ſemble de ce traitement ? Encores n’y voulois tu pas venir. Qu’en dis tu ? Par la figue, reſpondit l’aſne, laquelle vn de nos anceſtres mangeant, mourut Philemon[1] à force de rire, voicy baſme monſieur le rouſſin. Mais quoy ce n’eſt que demie chere. Baudouynez vous rien ceans vous autres meſſieurs les cheuaux ? Quel baudouynage me dis-tu baudet, demandoit le cheual, tes males auiures baudet, me prens-tu pour vn aſne ? Ha ha, reſpondit l’aſne, ie ſuis vn peu dur pour apprendre le langage courtiſan des cheuaux. Ie demande, rouſtinez vous point ceans vous autres meſſieurs les rouſſins ? Parle bas baudet, diſt le cheual : car ſi les garſons t’entendent, à grands coups de fourche, ils te pelauderont ſi dru, qu’il ne te prendra volonté de baudouyner. Nous n’oſons ceans ſeulement roidir le bout, voire fuſt-ce pour vriner, de peur des coups : du reſte aiſes comme rois. Par l’aube du bas que le porte, diſt l’aſne, ie te renonce, & dis fy de la litiere, fy de ton foin, & fy de ton auoine : viuent les chardons des champs puis qu’à plaiſir on y rouſſine, manger moins & touſiours rouſſiner ſon coup, eſt ma deuife, de ce nous autres faiſons foin & pitance. O monſieur le rouſſin mon amy, ſi tu nous auois veu en foires, quand nous tenons noſtre chapitre prouincial, comment nous baudouynons à guogo, pendant que nos maiſtreſſes vendent leurs oiſons & pouſſins. Telle fut leur departie. I’ay dit.

A tant ſe teut Panurge, & plus mot ne ſonnoit. Pantagruel admoneſtoit conclure le propos. Mais Aeditue reſpondit, à bon entendeur ne fault qu’vne parolle. I’entends treſbien ce que par ceſt apologue

  1. Philemon. Voyez ci-dessus, p. 116, note sur la l. 11 de la p. 73.*
    * Philemon, voyant vn aſne. Cette histoire, tirée du traité de Lucien intitulé De ceux qui ont longtemps vécu, et aussi de Valère Maxime (IX, 12, 6), est répétée avec un peu plus de développements dans le quart liure (ch. XVII, t. II, p. 333). Là, Philemon est appelé Philomenes. Le Duchat en conclut avec beaucoup de vraisemblance que Rabelais s’est servi, au moment où il écrivait le quart liure, du Valère Maxime in-folio publié à Paris en 1517, où ce nom est ainsi écrit. Voyez ci-dessus, p. 95, note sur la p. 43.*
    * Diagoras Rodien, Chilo, Sophocles, Diony, tyrant de Sicile, Philippides, Philemon, Polycrata, Philiſtion, M. Iuuenti, & aultres qui moururent de ioye. Les succès remportés dans les jeux de la Grèce causèrent quelques-unes de ces morts violentes : Diagoras vit ses trois fils victorieux le même jour aux jeux olympiques (Aulu-Gelle) ; Chilon en eut un qui obtint la même distinction (Pline, VII, XXXII) ; Sophocle et Denys avaient remporté le prix de tragédie (Pline, VII, LIII) ; Philippides celui de comédie (Aulu-Gelle). D’autres eurent des motifs plus futiles : « Philemon, voyant vn aſne qui mangeoit les figues qu’on auoit apreſté pour le diſner, mourut de force de rire, » ainsi que Rabelais lui-même nous le raconte un peu plus loin (t. I, p. 73. Voy, le commentaire relatif à ce passage). Polycrate, ou plutôt Polycrite, comme la nomme Plutarque, était une noble dame qui, d’après le témoignage d’Aristote, mourut d’un bonheur inattendu (Aulu-Gelle). Il n’est pas question de Philistion dans les auteurs que cite Rabelais ; mais Suidas nous apprend que c’était un poète comique qui mourut d’un excès de rire. Enfin le consul M. Juventius Talua, ou Thalna, périt au milieu d’un sacrifice qu’il faisait après avoir soumis la Corse (Pline, VIII, LIII, et Aulu-Gelle).