Page:Rabelais ou imitateur - Le Disciple de Pantagruel, éd. Lacroix 1875.djvu/41

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estendoit au vent, et s’accotoit d’ung pied contre la proue et le bout de devant de son navire, et lors le vent qui luy souffloit au cul par derrière le menoit là ou il vouloit aller. Avecq ce, il avoit les aureilles larges de plus d’ung arpent, dedans lesquelles le vent donnoit et souffloit, de sorte qu’il n’y avoit navire en toute la mer, combien qu’il eust des voilles, qui allast plus viste que le sien, tant fust bien equippé. Et quand le vent luy failloit et que la mer estoit calme et paisible, et que sa nef ne povoit aller avant par faulte de vent, il descendoit à pied dedans la mer et poussoit sa navire par derrière, et la menoit et conduysoit là où il vouloit, et cheminoit à pied, sur la mer, combien qu’il fust gros et pesant, comme il eust faict sur terre ferme, à cause que les semelles de ses souilUers estoient de liège, lesquelles estoient larges chascune de plus d’ung arpent, au moyen dequoy il ne povoit enfoncer en la mer ; et par ce moyen il exploitoit tousjours pays, et faisoit plus de chemin en ung jour que les aultres en cent, à cause qu’il avoit les jambes fort longues et qu’il marchoit en pas de grue, en sorte qu’il faisoit à chascun pas bien trente lieues du moins. Il n’y avoit navire en toute la mer, tant feust bien muny ny equippé, qui eust sceu ny osé approcher de luy : car, quand il véoit aulcunes fustes ou galères, ou aultres navires, venir vers luy, il avalloit ses chausses et rebrassoit son cul, qu’il tournoit vers ses ennemys, puis souffloit et petoit du derrière, de