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Page:Rabutin - Correspondance, t. 1, éd. Lalanne, 1858.djvu/25

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1666. — OCTOBRE

mademoiselle Dupré[1] à témoin pour vous dire si je ne lui ai pas demandé mille fois votre adresse. Cependant elle m’amusoit toujours, et me disoit que vous nous l’enverriez quand il vous plairoit recevoir de nos lettres ; et il me semble, si je ne me trompe fort, que vous m’aviez dit la même chose. Tenez-vous donc pour content et recevez mille amitiés que la comtesse du Plessis[2] me vient de prier de vous faire de sa part. Elle et moi mourons d’envie de vous voir ici. On vous contera mille choses qu’on ne vous sauroit écrire.

Les nouvelles les plus fraîches sont de moi qui fus volée hier au soir à huit heures par des soldats. Je revenois de chez madame de ***. Voyez un peu le bon naturel que j’ai pour vous ! Comme ils me voloient, je leur donnai par mégarde votre lettre, que je leur redemandai, songeant en ce moment que si je la leur laissois, je perdrois votre adresse. Ils me la rendirent toute ensanglantée, parce que la glace de mon carrosse leur avoit écorché les mains. Je me comportai assez bien en cette occasion, quoiqu’à vous parler franchement je mourusse de peur. Ils volèrent le même soir un lieutenant aux gardes qui les prit prisonniers : ainsi ils doivent être pendus cette semaine.

La cour ne reviendra ici qu’au mois de janvier. Les bals de Saint-Germain sont les plus galants du monde ; il n’y a rien de pareil aux dépenses qu’on y fait pour les habits. On porte de l’or et de l’argent.

    de Bartet. Voy. Mémoires de Conrart, p. 617, et les Mémoires de Bussy, t.  I, p. 427, 431. Ses galanteries l’on fait chansonner fort souvent.

  1. Marie Dupré, nièce de Roland Desmarets et de Desmarets de Saint-Sorlin, liée avec les beaux esprits de son temps qui la célébrèrent en vers et en prose. On a d’elle une petite pièce de vers, l'Ombre de Descartes, insérée dans le Recueil de vers choisis, édité par Bouhours en 1693.
  2. Marie-Louise de Bellenave, femme d’Alex. de Choiseul, comte du Plessis-Praslin, morte en 1724, à 84 ans (Voy. Moréri, art. Choiseul).