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Page:Rabutin - Correspondance, t. 1, éd. Lalanne, 1858.djvu/29

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1666. — OCTOBRE
11. — Bussy au duc de Saint-Aignan.
À Bussy, ce 19 janvier 1667.

Comme j’ai pris part à voire affliction, monsieur, il est juste que j’en prenne à votre joie. Je vous assure que personne n’est plus aise de l’un ni plus fâché de l’autre que moi. J’ai su si bon gré au roi de la manière dont Sa Majesté vous a consolé, que ce maître-là m’a paru digne du service de toute la terre. Ce n’est qu’auprès de lui seul au monde qu’on peut trouver des douceurs à perdre ses enfants, quelque honnêtes gens qu’ils soient. Aussi, monsieur, ne saurois-je assez m’étonner de mon malheur, quand je considère qu’avec un zèle extraordinaire que j’avois pour sa personne dont vous êtes témoin, je n’ai pas laissé de lui déplaire. Je vous avoue que cela m’est insupportable. Je trouve en moi de la fermeté pour n’avoir plus ni charges ni espérances et pour avoir perdu le fruit de plus de trente années de services ; mais je n’en trouve point pour être dans la disgrâce du plus grand roi et du plus honnête du monde. Je l’aime encore plus fermement dans la pensée que, s’il m’avoit connu, il ne m’auroit pas traité ainsi et dans l’espérance qu’il me connoîtra un jour. Vous m’y aiderez, monsieur, s’il vous plaît ; car outre l’intérêt que vous prenez en votre ami, la justice et la gloire d’un si bon maître y sont intéressées, pour lesquelles je sais que vous mourriez de bon cœur.

Mais c’est assez parler de mes malheurs ; il faut que je vous témoigne encore ma joie sur l’alliance que vous allez faire avec M. Colbert[1]. Je suis ravi, pour l’intérêt du

  1. Le duc de Beauvillier, fils du premier mariage du duc de Saint-Aignan, épousa la troisième fille de Colbert, le 21 janvier 1671. On voit que le mariage avait été arrangé longtemps d’avance.